Non au référendum de 2002 en Tunisie

C’était en mai 2002, à la veille du référendum qu’a connu la Tunisie. J’avais même pas la trentaine et j’étais confronté à cette question existentielle du : Que dire ? J’ai décidé de lutter pour ma « citoyenneté et mes droits » tout seul et ne pas attendre que les autres le fassent à ma place.Car ils ne le feront pas. Et accomplir mon devoir envers ce pays qui m’a fait sans attendre une quelconque reconnaissance de quiconque. J’ai décidé de publier alors sur la liste Tunisnews cet article et de participer régulièrement à cette liste. Le lendemain, j’étais à la cité internationale des étudiants à Paris quand j’ai entendu des amis chuchoter : « il faut éviter désormais de fréquenter SBA, il a commencé à s’opposer au régime et il va nous « salir ».Pourtant, je ne me voyais pas dans la posture d’un opposant. J’étais et je reste un homme décidé à arracher mes droits et à les exercer.

C’est une phrase qui m’a marqué. « Et pourquoi vous salir, ai-je répondu ? ».

Depuis 2002, j’ai connu la majorité des homes politiques tunisiens.J’ai pu aussi me forger mes propres point de vue et analyses sur la situation politique en Tunisie. Chez-nous, le problème fondamental demeure la démagogie des politiciens qui évitent de dire les vérités qui fâchent et l’hypocrisie collective.Tous veulent des « droits » mais rares sont ceux qui sont prêts à payer le prix pour les avoir. C’est un choix fait d’une manière consciente.

Il m’a fallu des années pour comprendre qu’en Tunisie, nous ne souffrions pas d’un régime policier mais d’une société policière. Et que Ben Ali n’est finalement qu’à l’image de milliers de Tunisiens. S vous critiquiez le régime, vous êtes un traitre ! si vous critiquiez les oppositions, vous êtes un pro-régime. Si vous critiquiez les islamistes, vous êtes alors un « laïc » vendu à la France. Et si vous critiquiez la gauche, vous êtes alors un islamiste.

L’oubli et la négligence dont souffrent les familles des martyrs ou des blessés de la révolution pour ne citer que cet exemple ne m’ont pas étonné. Pourtant, sur les plateaux de télévision, dans les médias, sur les réseaux sociaux…Tous parlent des martyrs (et en leurs noms) et versent des larmes fleuves (et chaudes!) sur leur courage…

En Octobre 2011, ces mêmes familles de martyrs ont dénoncé « l’ingratitude des Tunisiens » comme le rapporte le Blog Nawaat:

« Neuf mois plus tard, toujours à la case de départ. Les véritables héros de cette nation sont encore à l’oubli et en dehors de tout calcul politique et humain.

L’ingratitude des Tunisiens, le non sérieux du gouvernement et ses promesses répétitives non tenus, et la complicité des partis politiques nous ont poussé à une action ultime…

Si nous avons décidé de lancer cette action aujourd’hui c’est pour exprimer notre colère. Envers le gouvernement tout d’abord qui n’a pas tenu ses promesses et n’a toujours pas appliqué la décision du conseil ministériel du 21 septembre qui doit permettre, entre autres, la prise en charge immédiate et sous aucune condition des blessés de la Révolution. »

Ben Ali est parti depuis 9 mois. Allons-nous dire aussi,comme avant,que c’est de sa faute que ces martyrs et blessés sont trahis?

C’est grâce à plusieurs expériences du genre que j’ai compris que la « citoyenneté est un combat d’abord individuel ». Et j’ai compris aussi combien « la nature humaine pouvait être versatile et méchante ».

Après la chute de Ben Ali, beaucoup de ces « anciens amis » sont devenus des « révolutionnaires ».

« Non comme réponse au référendum de 2002 en Tunisie » paru sur Tunisnews qui était jusqu’à récemment, la seule liste politique tunisienne.

NON
26 mai 2002,par Sami Ben Abdallah

« Je dénonce un mal qui nous ronge de toutes parts : Comment y aurait-il encore un Etat, là où il n y a plus des citoyens ? Ce n’est pas servir la Tunisie que de répéter à tort et à travers –contre toute évidence- qu’elle se porte bien, qu’elle ne s’est jamais mieux portée. *Ils se disent des mensonges. Ils se disent des faussetés les uns aux autres. Ils ont sur les lèvres des choses flatteuses. Leurs langues qui discourent avec arrogance. Ils parlent avec un cœur double* » ( * La Bible) SBA

Dans quelques heures , les masses de Tunisiens que la propagande, la peur, l’ignorance et la cupidité ont réussit à mobiliser iront légitimer par un vain acte de partisanerie un Referendum que le Pouvoir a vidé, tant au niveau de la forme qu’au niveau du fond, de tout sens. Sur quoi ces Tunisiens seront-ils appelés à se prononcer ? Sur plus de libertés et de Droits de l’Homme inscrits dans une nouvelle Constitution ? N’était-il pas plus juste et plus crédible d’abord de respecter ceux inscrits dans l’actuelle Constitution ? Sur quoi se prononceront ces Tunisiens ? Sur plus de pouvoirs accordés à la Présidence de la République ? Comme si cette dernière en manquait déjà ! De quelle séparation des Pouvoirs nous parle-t-on ? De quel équilibre dans les pouvoirs nous parle-t-on à la vue de cet exécutif omnipotent et omniprésent qui gouverne « parfois » à travers « les instructions » et non « les textes de lois »…et ces matraques de police qui s’accommodent d’une masse prédisposée à la servitude et à la soumission.

Dans ces moments mémorisés par l’histoire, il est déplorable de constater que le Pouvoir a fait fi des conseils des amis et des amis des amis faisant sourde oreille devant les revendications légitimes de la société –intérêts du système y oblige -évitant d’engager des « vraies » réformes.

Dans quelques heures des Tunisiens iront voter. Pourquoi tant de suspens devant un résultat connu d’avance. Pourquoi tant de bruit alors que cette montagne qu’est l’amendement de la Constitution a fini par accoucher d’une souris ?

Dans quelques heures des Tunisiens iront voter. Ils diront « Oui ». Sans surprise le verdict se soldera par de nouveaux taux à la soviétique . Sans surprise, le Pouvoir s’en pressera pour tirer une nouvelle légitimité. « Le peuple a voulu ainsi » nous dira-t-on. Sans surprise les médias de caniveau se mobiliseront pour nous présenter cette armada de kobzistes, de nomenclaturistes et d’opportunistes qui peinent à accéder au stade de la citoyenneté comme des citoyens héroïques et patriotiques.

Dans quelques heures des Tunisiens iront pour voter. Ils diront « Oui ». Il y a d’autres Tunisiens qui n’iront pas voter, non par démission-mais par sanction, par dégoût et par mépris. Ils auront aimé que les choses ne se déroulent pas de la sorte, que des « vrais » débats accompagnent les amendements de la Constitution, que nul acteur politique et social ne soit exclu. Ils auront souhaité que le Pouvoir arrête sa fuite en avant, qu’il pallie à la logique du rapport de force, de la violence politique, de l’exclusion et de l’arbitraire à laquelle il recourt dans les temps difficiles en instituant la culture du dialogue, du consensus, du débat et de la transparence. Ils auront espéré que le Pouvoir tourne la page du « passé » en engageant des vraies reformes qui permettront à la Tunisie de redevenir la République qu’elle aspirait à être .

Dans quelques heures des Tunisiens iront voter. Seront-ils sincères ? Peut être …. autant que la girouette l’est, qui tournant, tournant, avait fini par dire « C’est le vent qui tourne, c’est le vent ». D’autres nostalgiques des années 87,88,89 les années de la liberté ne cessent de déplorer ce suicide politique, ce Referendum – Hémorragie ..cette Tunisie qui ne mérite pas tant d’ingratitude.

Dans quelques heures des Tunisiens iront voter, ils diront « Oui ». D’autres Tunisiens diront « Non » – à visage découvert- « Non ». Rêvant d’un avenir meilleur pour le pays que ce présent, ils ont espéré le servir de l’intérieur, tendre leurs mains aux autres Tunisiens pour gagner les vrais défis qui se profilent à l’horizon : Ce sous-développement politique, économique et social. Ils ont nourrit l’espoir d’une réconciliation nationale. Mais, orphelins et forcenés de ce même espoir, ils sont convaincus cependant qu’en faisant un premier pas sur le chemin de l’émancipation de la servitude et du mensonge, le prix à payer pour se purifier serait assez cher : une privation de liberté ou des années d’exil. Qu’importe devant la dignité retrouvée.